Mar 072012
 

la peau de l'oursNicolas Sarkozy demeure un animal politique redoutable en campagne électorale. Il en a fait la brillante démonstration hier soir, dans l’émission de France 2, Des Paroles Des Actes.

Cela tient essentiellement à une caractéristique du personnage : il ne doute jamais de rien. Une absence de doute qui lui permet, quel que soit le sujet, de trouver les mots qu’il faut. Peu importe que les mots qu’il doive prononcer pour qu’ils portent, déforment la vérité, ou la travestissent, ou la nient. Pour Nicolas Sarkozy, il n’y a ni vérité ni mensonge, il y a seulement ce que les Français doivent à toute force entendre de l’histoire qu’il a résolu de leur raconter.

Cette manière de concevoir la politique relève de l’impudeur la plus totale et du cynisme le plus abject, elle n’en est pas moins redoutablement efficace. C’est que pour la grande majorité, si nous sommes tous capable de mauvaise foi, capable même à l’occasion de mentir plus ou moins éhontément, il n’est pas concevable que l’impudeur et le cynisme soient à ce point absolu.

Hier soir, Nicolas Sarkozy a déclaré – par exemple : « Les Français, j’ai tout fait pour ne pas les décevoir »… Et un peu plus tard : « La seule vérité d’un homme c’est pas ce qu’il dit, c’est ce qu’il fait »… Et encore : « Je déteste l’impudeur ! », nous donnant à entendre dans la foulée combien il fut humainement meurtri par l’explosion de sa famille en ce début 2007, alors qu’il devenait président de la République, « ce qui aurait dû être le plus beau jour de ma vie », justifiant par cette meurtrissure la double erreur originelle de s’être rendu au Fouquets le soir de son élection, puis sur le yacht d’un de ses amis milliardaires… N’oubliant pas par la suite de s’offusquer : « Dire que j’ai été le président des riches, mais c’est une imposture ! Je n’ai pas fait de cadeaux aux riches».

Tout cela est dit avec des accents de sincérité parfaitement singés. Des paroles qui prononcées avec toute la force de celui qui semble être habité par une profonde conviction cherchent à annihiler les actes qui sont pourtant sa seule vérité. Rendez-vous compte, il a été jusqu’à affirmer : « J’ai découvert quelque chose de pas normal : les grands groupes Français – les entreprises du CAC40 – maximisent les avantages fiscaux, et une partie d’entre eux ne paient pas du tout d’impôt ».

Un journaliste évoque le rapport de la Cour des Comptes indiquant que le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite correspond à une économie de seulement 100 à 200 millions d’euros. « C’est faux » assène Nicolas Sarkozy. Aucune évidence ne s’impose jamais à lui, aucune réalité. Il ne connait d’autre réalité que celle qu’il entend modeler avec ses mots.

La réalité c’est que François Hollande se présente devant les Français avec 60 propositions rassemblées dans un document écrit et accessible à tous, quand Nicolas Sarkozy distille des mots et des promesses au compte-gouttes et sans cohérence. Mais Nicolas Sarkozy martèle : « François Hollande ne fait aucune proposition » et feint de n’avoir pas lu le projet du candidat en rabâchant là aussi contre l’évidence : « François Hollande veut procéder à une régulation massive des étrangers » et « François Hollande veut supprimer la quotient familial ». Et quand Laurent Fabius lui fait remarquer que prétendre cela est « mensonger », il s’offusque et parle de l’« outrance » de son contradicteur. Il ne doute de rien, jamais.

Oui donc, comment imaginer que tant de mots prononcés avec tant de conviction et répétés avec tant de constance puissent n’être que cela, des mots ? Comment imaginer qu’un homme politique puisse proférer tant de mensonges et se gargariser avec tant d’applomb du mot vérité ?

Alors en effet, on voudrait se dire que les Français ne s’y laisseront pas prendre. Pas une seconde fois. On voudrait penser que plus personne ne l’écoute, qu’il a tant promis et tant trahi que sa parole est à jamais décrédibilisée. Et qu’il aura beau parler et promettre encore, cela sera forcément en vain. Ce serait faire une grave erreur. Ce serait oublier qu’une partie de la population française a, au fond, envie de le croire, envie de pouvoir se laisser aller à voter encore une fois à droite – parce que c’est là que traditionnellement, et sauf exception, la France a toujours penché. 

Le fait est que si Nicolas Sarkozy prend avec une telle constance et une telle indécence les gens pour des cons, c’est qu’il considère en effet qu’ils le sont. Et son pari est simple, en définitive : il mise qu’il y aura suffisamment de cons pour s’y laisser prendre, et contribuer à sa réélection.

Aussi, plus que jamais, et d’autant plus que l’animal semble à l’agonie, il nous faut demeurer vigilant, ne surtout pas sous-estimer la capacité de cet homme à berner les Français, à les charmer comme on charme des serpents. Cet homme-là joue admirablement de son pipeau et nous n’en aurons fini avec lui que lorsque nous serons parvenu à le lui faire avaler en entier – ce qui ne saurait survenir que dans et par les urnes… Pas avant !

Et si malgré tout  je garde confiance, c’est seulement que je vois combien François Hollande prend soin de s’adresser à l’intelligence des Français. C’est ainsi seulement qu’il est possible de battre Sarkozy – et l’on comprend alors pourquoi ce dernier s’évertue à pourrir la campagne et, usant jusqu’à la nausée de la caricature et de l’outrance, à rendre inaudible son adversaire. Nicolas Sarkozy sait que l’intelligence du peuple est sa pire ennemie, celle qui au final aura sa peau.